
Après avoir étudié les 3 propriétés cardinales des vélos de route, le poids, la rigidité et l’aérodynamisme, prenons un peu de recul. Qu’attendons-nous en premier lieu de notre vélo de route ? Est-ce de la performance pure ? Où est-ce un mélange de performance, de plaisir et de cherche de liberté ? A tout réduire au chronomètre, le marketing industriel a considérablement limité le champ de cette pratique1.
Aujourd’hui, la très large majorité des vélos de route du marché dérivent directement des vélos des professionnels du Tour de France. Le niveau d’équipement et la noblesse des matériaux (donc le poids) s’adaptent à votre portefeuille, mais le programme est bien souvent le même, le vélo de route est devenu un vélo de course ! Cela passe avant tout par des choix de géométrie et d’équipements (les braquets notamment) qui sont faits pour vous faire gagner les cyclosportives auxquelles vous allez participer. Et tant pis si ce n’est pas le cas, ou très marginalement.
Qu’est ce qu’une bonne géométrie pour un vélo de route ?
Pour bien comprendre pourquoi, une fois encore, les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît et qu’il ne nous faut pas, nous simples cyclistes, la même géométrie que notre cher Pogacar, voici quelques explications. Mais avant toute chose, je dois définir ce que j’appelle géométrie d’un vélo.
Qu’est ce que la géométrie ?
La géométrie d’un vélo est l’ensemble des dimensions (longueurs et angles) qui vont définir la forme du vélo, son comportement et si vous êtes bien dessus. Comme le cadre est la pièce du vélo qui relie, presque, toutes les autres, c’est lui qui détermine principalement la géométrie, mais d’autres pièces peuvent être importantes, comme la fourche, la potence ou les manivelles.
J’ai tendance personnellement à diviser la géométrie en deux parties :
- « La géométrie du client » : La partie qui va découler de l’étude posturale et qui déterminera votre position sur le vélo et qui peut être presque reproduite sur tout type de vélo (route, voyage…). On retrouve par exemple l’angle de selle, le reach2 et le stack3 (même si je n’utilise pas ces grandeurs dans les faits), ce qui peut surprendre.
- « La géométrie liée à l’utilisation » : Celle qui va dépendre précisément de l’utilisation du vélo : route, voyage, tout terrain… Je mets dans cette catégorie la hauteur de boîte de pédalier (ou le drop), l’angle de direction et le déport de fourche ou la longueur des bases.
Géométrie liée à l’utilisation
Dans cet article ce qui va nous intéresser, c’est cette dernière. La « géométrie du client » sera plutôt abordée dans la partie sur le confort (et les bienfaits de l’étude posturale). Dans le cas d’un vélo de route, les grandeurs que je juge importantes pour la géométrie sont les suivantes :

- La taille des roues (700C, 650B/C, 26 pouces)
- La longueur des bases (qui doit être la plus courte possible et qui sera déterminée surtout par la taille des roues)
- L’angle de direction (important)
- Le déport de fourche (dépend de l’angle de direction et du choix de la fourche)
- la longueur de l’avant (distance entre le boîtier de pédalier et la roue avant)
- La hauteur de la boîte de pédalier (aussi basse que possible)
Ces paramètres vont permettre de donner le caractère du vélo, une bonne partie de son rendement et du plaisir de rouler avec. Mais cela dépend aussi de la personne qui est dessus, sa puissance, son poids, sa taille et ses envies.
Une géométrie, mais pour qui ?
C’est là que je vais profondément différer de mes confrères industriels et que l’artisanat et le sur mesure permettent de proposer une alternative. En effet, ce n’est pas tout à fait pareil de rouler à 60 km/h en peloton, de descendre à 100 km/h et de monter les pentes à 10 % à 20 km/h, que de rouler seul ou en petit groupe à 25 km/h sur le plat, freiner dès que le 50 km/h est dépassé et monter à 6 km/h… Ce n’est rien de le dire, mais je peux vous garantir que la géométrie est sensiblement différente pour l’un et l’autre.
Actuellement, les vélos de route, faits pour la course, sont des vélos très stables à grande vitesse et sous-vireurs (ils vont tout droit pour ne pas provoquer de chute massive en peloton). Ils ne sont pas particulièrement à l’aise aux vitesses communes des cyclotouristes, où ils donnent souvent l’impression de « coller à la route ». Pourtant, en changeant légèrement certains paramètres de la géométrie, il est possible de faire un vélo beaucoup plus adapté aux conditions qui sont les nôtres.

Une géométrie sur mesure
Il est même possible d’adapter précisément ce comportement à chacun·e grâce au sur mesure. J’aime personnellement les vélos sur-vireurs (qui tournent très facilement) car ils donnent une sensation de légèreté à la montée et procurent beaucoup de plaisir à la descente. Mais il faut, en principe, abandonner l’idée de lâcher les mains du guidon au risque de tomber. C’est un choix de géométrie possible chez un artisan que vous n’aurez jamais avec un vélo industriel.
Les industriels poussent parfois le vice jusqu’à proposer la même géométrie sur presque tous leurs modèles de vélos de route, qu’ils soient destinés à la compétition, la longue distance ou le cyclotourisme. C’est le cas par exemple avec les différents modèles Axxome d’Origine qui ont tous la même géométrie4. La raison est évidemment la réduction des coûts de conception et de fabrication. Cela montre aussi le peu de cas que fait l’industrie de la géométrie de ses vélos.
Pour les vélos de route (et les autres), je pars systématiquement d’une page blanche. Même si j’ai mes petites habitudes, je cherche, au moment de commencer un cadre, la bonne géométrie en fonction du profil du ou de la propriétaire et du programme envisagé. Et même si les changements sont parfois subtils, c’est en partie pour ça que la satisfaction de mes client·es est très bonne.
La géométrie, tout un savoir-faire
Vous l’aurez compris, la géométrie est un point essentiel pour fabriquer un bon vélo et il n’y a pas un bonne géométrie dans l’absolu. Il s’agit donc d’un sujet extrêmement sérieux lors de la conception. Il s’agit aussi d’un sujet très complexe (de mon point de vue le plus complexe après l’étude posturale), qui va reposer sur un nombre important de paramètres.
Comment, dès lors, s’en sortir pour trouver la bonne géométrie pour chaque projet de vélo ? Le plus simple, et ce que font de nombreuses marques et confrères, est de copier ce que font les autres. En général les marques ne gardent pas secrètes les géométries de leurs vélos, car cela intéresse les clients. Il est très facile de constituer une bibliothèque de géométries à partir de vélos de référence et de travailler avec ça. Mais comme vous ne trouverez pas de vélos de route industriels avec des roues de 650B ou 26 pouces, comment faire pour adapter la géométrie à ce changement de taille ?

Un long processus
Personnellement, j’ai eu la chance de bénéficier de plus de 30 ans d’expérience en la matière de Daniel Cattin lors de transmission il y a 11 ans maintenant. Il avait beaucoup expérimenté et testé des modifications de géométrie. La majorité de mon savoir-faire vient de lui. Cette démarche expérimentale permet de construire une expertise solide et concrète de la géométrie d’un vélo, adaptée à ma clientèle qui me ressemble plus qu’à Pogacar. Depuis que j’ai repris l’activité, mon vélo de route, dont la version actuelle illustre cet article, a eu 3 cadres différents, tous un peu différents, ce qui m’a permis de valider certaines idées de Daniel.
Mais c’est une démarche qui demande du temps pour être construite et qui doit être continuellement et patiemment poursuivie. A notre époque de disruption permanente où tout doit être réinventé tout le temps, cet travail de fourmi est une incongruité. Et finalement tous les vélos tournent autour des mêmes géométries, une bien belle disruption !
Cet article, comme nos vélos, a été écrit par un humain pour des humains. Il continent donc d’authentiques fautes d’orthographe et d’errances syntaxiques. Profitez-en cela va devenir rare.
- Ouvrant la voie au développement du gravel. ↩︎
- Distance horizontale entre le boîtier de pédalier et le haut de la douille, qui caractérise la longueur du cadre. ↩︎
- Distance verticale entre le boîtier de pédalier et le haut de douille, qui va déterminer la hauteur du poste de pilotage. ↩︎
- Il s’agit en réalité du même cadre, qui est décliné en différents modèles destinés aux différents « secteurs » du marché du vélo de route haut de gamme : compétition, haute performance, ultra distance ou le confort. En tout, 5 gammes sont proposées et pour chacune d’elles, une petite dizaine de configurations possibles, mais c’est toujours le même vélo ! ↩︎