Pourvu qu’elle soit simple (ma bicyclette) – Ode aux passages externes

Il y a bien longtemps que je n’ai rien écris sur le carnet de bord des Cycles Cattin. Il faut dire que l’année 2024 aura été bien mouvementée et par trop difficile… Alors pour rompre ce long silence, sans être trop ambitieux, je vais vous entretenir sur ma passion pour les butées de gaines. Sujet léger en apparence, mais en apparence seulement !

Sans fouler mes talents de cartomancien, je peux déjà vous prédire que l’année 2025 poussera encore plus loin l’intégration des câbles, gaines, fils et durites à l’intérieur des cadres et fourches. Plus rien ne dépassera de nos belles bicyclettes, des quelles il ne dépasse pas grand chose, plus rien ne perturbera leurs lignes fluides et racées. Ainsi soit-il !

Bien entendu, il faut que nos vélos évoluent, que des nouveautés apparaissent chaque année et qu’innovation se fasse. Alors l’industrie intègre, l’artisanat intègre, même le reconditionnement intègre ! De nos jours plus une gaine ni un câble ne trainent dehors. Et c’est malheureusement un problème.

Vous vous en êtes sûrement rendu·es compte, chez les Cycles Cattin, nous avons des lubies rétrogrades, des envies régressives et lowtech : les freins sur jantes, les roues de 26″ ou les porte bagage. Le passage externe en est une autre et sans doute celle à laquelle on tient le plus, une sorte de totem indépassable ! Nous avons nos règles, et tout en haut de la liste, il y en a une qui stipule que l’intégration des câbles, gaines et autres tuyaux n’est pas une bonne idée ! Voici pourquoi.

L’intégration nuit au fonctionnement

Il y a une citation datant des heures glorieuses de la bicyclette française, généralement attribuée à René Herse, qui dit (ce ne sont peut être pas les mots exactes) :

Un transmission, moins il y a de gaine, mieux ça fonctionne !

Et pourtant à l’époque, celle des manettes au cadre, le câble du dérailleur avant ne connaissait pas les gaines, seulement un petit renvoie sous la boite de pédalier, le dérailleur arrière, lui, avait au plus 20 cm de gaine bien arrondie à franchir. Et de surcroit, la roue libre comptait guère plus de 6 vitesses non indexées, l’enjeu de fonctionnement n’était pas le même qu’aujourd’hui, avec nos 11, 12 ou 13 vitesses et aux indexations ultra rapides (parce qu’on a plus de temps à perdre pendant les changement de vitesses).

Pourtant si René s’appliquait cette règle, c’est bien que cela devait faire une différence ! L’idée derrière tout ça est toute simple : à l’air libre le câble de vitesse rencontre le moins de frottements et moins il y a de frottements, mieux ça fonctionne. Et cela s’applique aussi aux freins, même si l’enjeu est moins crucial1.

Bien entendu, certain·es me rétorqueront que depuis les années 70, nous avons inventé le câble enduit au PFTE2, la gaines autolubrifiée et je ne sais quelle autre révolution. Peut-être, mais c’est toujours moins bien que le frottement du câble dans l’air frais d’une sortie matinale !

Et pire que la gaine toute simple, il y a le passage interne, dont on ne sais rien, que l’on ne peut pas changer et qui s’encrasse immanquablement au point bas (la boite de pédalier). Et parfois il n’existe même pas, les câbles venant frotter contre les parois du cadre, les vis des porte bidon ou les cloisons de carbone…

Il m’arrive, de plus en plus régulièrement, de voir passer des vélos dans mon atelier avec de très beaux passages internes, à la réalisation impeccables (vue de l’extérieur), mais qui malheureusement induisent un mauvais fonctionnement du dérailleur qui se trouve à l’autre bout. Ça passe à la montée, mais pas à la descente, ou l’inverse (et ce n’est pas un problème de patte de dérailleur…). Ironie du sort, parfois la seule issue est de tirer une gaine tout du long à l’extérieur du cadre. René se retourne doublement dans sa tombe voyant ses enseignements bafoués, mais au moins on garantit qu’il n’y ait pas une vilaine chicane qui gâche tout. Voilà où nous en sommes, à tout vouloir dissimuler au regard, on cache même l’origine des problème et on les rend insolubles !

Avec un bon passage externe à l’ancienne, tout est visible au premier coup d’œil !

Le frottement est minimal quand il n’y a même pas de câble !

L’intégration nuit à la réparabilité

Je l’ai déjà évoqué un peu plus haut, mais cela vaut le coup de s’y attarder un peu car les passages internes sont devenus le cauchemar des mécaniciens cycles ! Changer des câbles, des gaines ou des durites peut très facilement virer à l’enfer. Si tout a été bien conçu et mise en œuvre, il n’y a pas vraiment de raison que cela se passe mal : si le tubage est de qualité, vous poussez d’un côté et ça ressort de l’autre !

Malheureusement c’est trop rarement le cas. Sur les vélos industriels, pour des questions de réduction de coût sans doute, les tubages sont soit faibles, soit inexistant. Il faut alors traquer votre proie, un câble bien souvent, perdue à l’intérieur d’un cadre, en passant par une trappe qui tend à se rétrécir d’année en année. Parfois on y passe des heures entières. Comment expliquer à votre client·e qu’il lui faut payer plus d’une centaine d’euros pour un simple câble de dérailleur ?

Le cycliste lui-même perd en compétence, car bien souvent il n’est plus en capacité, ou n’a plus la patience, pour réaliser une tâche qui était autrefois commune. On se rapproche un peu plus du vélo « boite noire » sur lequel on n’aura plus aucun pouvoir. Pour ma part, je suis persuadé que le lowtech et la reprise de pouvoir sur nos objets sont des combats d’avenir !

Une belle gaine contribue à l’élégance d’un vélo

L’intégration nuit à la durabilité

Il fut un temps chez les Cycles Cattin où les passages internes pour le câble de frein arrière étaient légions. Dans les années 80, c’était comme ça que l’on fabriquait un bon vélo. 40 ans plus tard, on peut aisément tirer un bilan sur l’impact d’une telle pratique sur la durée de vie des cadres, et deux écueils viennent encore ternir le tableau.

Premièrement, le passage interne dans les cadres en acier sont de belles amorces de corrosion. Il m’arrive de changer un tube supérieur, à l’occasion d’une grosse remise en état, car le tube est perforé par la rouille. Presque systématiquement cela se produit à proximité de l’entrée du passage interne3. Si le cadre est équipé de butée de gaine et d’un passage externe, il suffit alors simplement de changer la butée qui, elle seule, a subit les affres de la corrosion.

Deuxièmement, il arrive qu’une gaine n’ayant pas été changée suffisamment souvent, finisse par gripper à l’intérieur du tubage. Il est alors impossible de la changer et le vélo est à la merci d’un vieux bout de gaine qui, si l’on se réfère à la règle de René, n’améliore pas le fonctionnement du vélo…

Les passages externes, en plus de garantir un bon fonctionnement et un entretien facile, sont aussi garant d’une plus grande longévité du cadre. Et tout cela grâce à leur plus grande simplicité !

Et pourtant…

Double passage interne (câble de frein et câble de commande électrique Di2)

Et pourtant, il m’arrive de faire des passages internes, même (surtout) sur mes propres vélos. Suis-je donc à ce point inconsistant pour faire la leçon et ne pas me l’appliquer? Sans doute un peu. Mais il y a aussi quelques raisons à cela.

  • Premièrement, je m’applique la règle intangible : point de passage interne pour les câbles de dérailleur ! Pour les freins, pourquoi pas, même si je ne le fais plus pour les durites, car cela implique de devoir les couper pour faire des maintenances importante. Pour les câbles électriques, l’enjeu est complètement différent et nécessiterai un article complet…
  • Deuxièmement, je ne le fais que pour les cadres dont je ne souhaite pas me séparer un jour et pour lesquels les enjeux de durabilité sont moins importants.
  • Troisièmement, j’ai un mécanicien cycle sous la main pour faire l’entretien et qui ne peut pas m’en vouloir d’avoir fait ces choix là, sous peine de début de schizophrénie.

Enfin, il existe un passage interne, un tout petit, que j’aime beaucoup, même s’il complique pas mal les choses (notamment pour la tige de selle). Il s’agit d’un grigri de cadreur qui remonte aux vénérables anciens (dont Hugonnier Routens), le passage à travers le tube de selle4 !

  1. Il m’est arrivé plus d’une fois d’entendre les éloges de client·es sur la qualité et le confort de freinage retrouvés après une révision. Parfois est évoqué quelque pouvoir magique que nous aurions, nous mécaniciens cycles, alors qu’il s’agit simplement de l’effet d’une gaine en bonne état… ↩︎
  2. PFTE qui finit immanquablement par ce retrouver dans un endroit où il ne devrait pas, comme l’estomac d’un poisson ou celui d’un enfant… Nos vitesses passent bien, mais ce petit cancer du rein nous empêche d’en profiter, quel dommage. ↩︎
  3. Les brasures étant poreuses, l’humidité et l’acidité de la transpiration finissent par pénétrer à l’intérieur du tube supérieur au niveau du passage interne. Les cadres actuels équipés de sortie de passages internes sur le tube diagonal au niveau de la boite de pédalier risquent de subir le même sort. ↩︎
  4. Pour les petit·es curieux·ses, il y a bien un tube en inox pour le guidage du tube (et pour que le câble ne finisse pas par scier le tube de selle)! ↩︎

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